«Rompre le silence», le combat des jeunes du Nor Zartonk à Istanbul

[ A+ ] /[ A- ]

Anna SPANO-KIRKORIAN
France Arménie

En faisant le choix du combat contre le silence et la peur, Le Nor Zartonk ouvre aujourd’hui de nouvelles possibilités pour la communauté arménienne d’Istanbul. Créé en 2007 après l’assassinat de Hrant Dink, le Nor Zartonk, ou Nouvelle Renaissance, est aujourd’hui le principal groupe arménien qui développe un travail politique et social en Turquie. France-Arménie s’est rendu dans leurs locaux, à Taksim, pour découvrir qui sont ces jeunes arméniens en lutte.

En figure de proue des manifestations de Samatya en janvier 2013 (suite aux agressions des grands-mères arméniennes), mais également à l’initiative dans le combat pour que justice soit rendue concernant l’assassinat de Sevag Balıkçı (jeune arménien assassiné en 2012 pendant son service militaire), le Nor Zartonk est de toutes les batailles.

Des Commémorations du 24 avril où ils réclamaient publiquement la reconnaissance du génocide arménien aux manifestations sociales du 1er mai, ils s’engagent et revendiquent leurs droits à exister en tant qu’arménien, et plus, en tant que militants.

Ce qu’ils veulent? Développer un travail qui contribue à un réel changement social en Turquie. Engagée au delà de questions arméniennes, l’organisation défend des idées de justice, d’égalité, de démocratie et de défense des droits de l’homme.

Forts d’eux mêmes, les jeunes du Nor Zartonk n’ont pas l’intention de s’en tenir à des événements publics. Ils ont donc créé une radio en 2009, la Nor Radyo, qui émet dans plus de 18 langues dont principalement l’arménien, le kurde, le géorgien et le turc. Ecoutée par la communauté arménienne et plus largement, l’idée est alors de recrée un espace radiophonique qui permette de retrouver la mosaïque culturelle de l’Anatolie et de permettre à tous les peuples et minorités en Turquie de s’exprimer dans leurs langues maternelles. Si originellement, le projet était celui d’une radio purement arménienne, il s’agit désormais d’un projet plus large qui, comme l’explique Murat Gozoglu, chef de diffusion de la radio, a pour vocation d’accompagner et d’appuyer les droits aux reconnaissances des différentes langues. Derrières les micros, ce sont 9 personnes issus de différentes communautés qui, ensemble, animent la radio. Il s’agit de construire des ponts entre ces communautés, de créer de l’interaction comme l’explique Nor Zartonk: «c’est très important que les gens se saisissent de leur identité aujourd’hui».

France-Arménie : Quelle est l’histoire de Nor Zartonk?

Dans un premier temps, avant 2007, Nor Zartonk existait comme un réseau internet informel. C’est après l’assassinat de Hrant Dink que nous avons commencé à devenir plus actifs et visibles en tant que groupe d’activité politique arménien. En 2007, nous avons décidé de développer des activités, d’organiser des conférences, d’être présents lors des manifestations, voire d’en organiser nous-mêmes. Aujourd’hui, ca fait six ans qu’on existe. On essaye d’être le plus actif possible dans les luttes arméniennes et aussi dans les autres luttes, par exemple les droits des travailleurs et des droits des autres peuples opprimés dans ce pays. Au début, tout le monde était arménien, mais peu à peu nous nous sommes ouverts et le groupe s’est diversifié. Aujourd’hui nous sommes plus de 90 % d’arméniens mais nous pensons que les luttes des minorités ne sont pas déconnectées les unes des autres. Par ailleurs, les arméniens qui sont membres de Nor Zartonk peuvent être des travailleurs, des femmes, des homosexuels, des gens confrontés à d’autres problématiques. La lutte sur la question arménienne n’est donc pas indépendante de la société civile, c’est pour cela qu’il y a des liens. On fait d’ailleurs partis du HDK (Congrès Démocratique des Peuples) dans une optique d’ouverture.

Du point de vue de la Diaspora, l’assassinat de Hrant Dink semble être une datte buttoir avec un « avant » et un « après » en Turquie. Qu’en pensez-vous?

Pour la plupart des gens, et surtout pour les jeunes arméniens du Nor Zartonk, l’impact a été très fort. En Turquie, beaucoup connaissait l’histoire des arméniens, mais aussi les persécutions sur les autres minorités et les oppressions sur le peuple Kurde, mais pour nous, quand Hrant Dink a été assassiné, il s’est passé quelque chose d’incroyablement brutal. C’était une remémoration vive du passé, comme si rien n’avait changé, comme si le Génocide continuait..

Le climat ne semble pas rassurant pour les arméniens à Istanbul. Vous n’êtes pas nombreux, et le silence règne. Le travail du Nor Zartonk tranche avec le contexte actuel. Comment vous perçoit la communauté arménienne d’Istanbul?

C’est précisément ce silence que nous voulons rompre, silence trop longtemps institué en Turquie. Aujourd’hui, si nous sommes les seuls à être « visibles », nous ne sommes cependant pas les seuls à faire ce travail. Il y a notamment Agos qui essaye de briser ce silence, mais les seuls qui sommes actifs sur le plan politique c’est nous. Pour une partie de la communauté arménienne, ce que nous faisons est risqué. Ils nous disent: «ne le faite pas», «faites attention», «ca risque d’être encore pire après». Pour une autre partie de la communauté le Nor Zartonk est perçu comme un espoir, comme une prise de force. Je pense qu’il y a beaucoup de sympathie pour Nor Zartonk, surtout chez la jeunesse arménienne. Ce sont des choses qui avancent très lentement chez les arméniens, car nous sommes restés trop longtemps coupés des questions sociales et politiques. Il faut comprendre que les arméniens ici ont encore peur lorsqu’ils sortent de chez eux. Nous, nous sommes contre ce sentiment de peur, c’est pour cela que nous sommes à Nor Zartonk. Nous pensons qu’il faut lutter et sortir de l’invisibilité et du silence. Mais, d’un autre côté, je comprends très bien cette peur. Les arméniens sont un peuple qui tous les dix ans environs ont été victimes d’un massacre en Turquie, de depuis 1915 les choses continuent ici… Pour donner une idée, il faut savoir qu’aujourd’hui encore à Erzurum, lors de la fête de la libération de la ville, ils continuent à «tuer» symboliquement quelqu’un qui représente «l’arménien».

Quelles sont les activités qui ont lieu dans les locaux du Nor Zartonk?

Nous avons une bibliothèque que les gens viennent consulter. Mais aussi une salle de cours de langue arménienne depuis juillet 2010. Les cours d’arménien sont fréquentés par des arméniens et des non-arméniens. Cela représente aujourd’hui 40 personnes divisées en trois groupes et les personnes qui viennent depuis plus de deux ans arrivent à parler aujourd’hui. C’est un professeur arménien qui dispense les cours. A côté de ça, nous avons aussi les locaux de la radio, Nor Radyo. La radio existe depuis 4 ans et demi. Jusqu’à maintenant, nous avons réalisé des émissions dans plus de 18 langues. Les langues dans lesquelles nous diffusons nos émissions sont les langues parlées dans la région de l’Anatolie-Mésopotamie. Il y a des programmes de musiques, des émissions culturelles, mais aussi des émissions en lien avec les mouvements LGBT, mouvement des femmes, des écologistes, des droits des ouvriers et des travailleurs. Nous sommes aussi en lien avec l’association pour la Culture et la Solidarité Arménienne qui est installée dans les mêmes locaux, mais nous travaillons sur des thématiques différentes. Nor Zartonk n’est pas vraiment une organisation classique, ce serait plutôt un groupe organisé et politique qui intervient dans la vie sociale, et l’autre organisation est d’avantage culturelle.